vendredi 18 septembre 2015

8 Idées reçues sur la peine de mort en Tunisie

 « si vous voulez l’exécution capitale, ayez le courage de la regarder en face »

tels étaient les propos qu'a tenu Léon Gambetta  lorsqu'on a proposé, pour la première fois, d'abolir les exécutions en public en France.
en 2015, si la Question de l'abolition de la peine de mort ne se pose plus dans 105 pays dans le monde, la question reste toujours  tabou en Tunisie.

Bien que le souvenir de ce samedi 26 décembre 2006 est toujours ancré dans la mémoire nationale des Tunisiens, l'exécution de Saddam Hussein par pendaison le Jour d'une fete musulmane n'a pas pu dissuader les peuples "arabo-musulmans" de la Barbarie d'une justice qui dispose de la vie d'autrui en acceptant de tuer, comme dirait Robert Badinter.



La position de la Tunisie devient de plus en plus ambiguë sur la question, spécialement après le vote à l'unanimité de la loi de la lutte contre le terrorisme autorisant la peine de mort  (174 députés ont voté oui et 10 députés se sont abstenus). 

les réactions , suite à ce vote, ont été révélatrices de l'antagonisme établi entre les partisans et les détracteurs de la peine de mort. 
il semble que la question "etes vous pour ou contre la peine de mort" n'est autre que celle de savoir par quel droit nous nous octroyons (ou pas) le droit d'oter la vie à autrui. 
voici une liste de  8 idées reçues sur la peine capitale ayant l'ambition de tracer les contours de ce débat toujours d'actualité. 


1. LA PEINE DE MORT: UN MOYEN EFFICACE DE LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITé:
l'un des arguments le plus fréquemment avancé pour soutenir le maintien de la peine de mort en Tunisie est celui de l'exemplarité de la peine de mort. 
Encore aujourd'hui, Plusieurs voix s'élèvent pour rappeler qu'exécuter un meurtrier en persuadera d'autres de ne pas commettre le meme crime. 
Argument Fragile et prouvé faux à multiples reprises puisque jusque là, aucune étude n'a réussi à prouver que la courbe de criminalité a été inversée dès qu'un pays a cessé d'exécuter des condamnés. 
si l'exécution était une solution pour faire baisser ou cesser le crime dans une société, on aurait l'un des taux les plus faibles de criminalité dans les pays appliquant  massivement la peine de mort à savoir l'Iran, la Chine, l'Arabie Saoudite. 
l’auteur du crime agit souvent dans la conviction absolue qu’il sera plus habile que les autres, que la police, que la justice, qu'il ne sera jamais puni pour son crime. 
par ailleurs, si les exécutions sont dissuasives, il est légitime de se demander pourquoi les exécutions en public ne sont plus de vigueur en Tunisie (dernière exécution publique a eu lieu en 1956), et pour aller plus loin dans ce raisonnement, pourquoi auront nous du mal à voir une scène d'exécution à la télé?

serait-il trop violent pour le spectateur? ou rappellerait-il les pratiques d'un certain "Etat Islamique"?
il faut notamment dire que s'agissant des terroristes condamnés à mort, l'histoire nous montre que les  terroristes se  transforment en martyrs dès qu'ils sont exécutés , et  par conséquent, on susciteraient chez leurs adeptes des vocations.




2. LA PEINE DE MORT: UNE PEINE JUSTE POUR UN CRIME ODIEUX:

la peine de mort est la prolongation effective de la loi du Talion "oeil pour oeil, dent pour dent". 
cependant, il est faux de dire que la peine de mort n'est prononcée qu'à juste titre, le cas Maher Manai illustre bien les erreurs judiciaires dont est capable la justice Tunisienne. voir ici

En effet, La Tunisie est loin d'être un modèle à suivre en matière de procès équitable et de respect des procédures.
l'extorsion d'aveux sous la torture n'est pas une pratique rare dans le système judiciaire tunisien.
des témoignages relatés dans le livre  "le Syndrome de Siliana" (P.132-134) n'en sont qu'une infime illustration.
Mise à part la Torture et les traitements dégradants, il arrivait  que l'on faisait signer des aveux aux prévenus sans leur permettre de les lire, et lorsqu'ils refusaient de signer, on les forçait à opposer leurs empreintes sur le papier. 

En théorie, lorsque ce genre de pratiques est porté à la connaissance du juge, il est dans l'obligation d'ordonner l'ouverture d'une enquête
Néanmoins, l'engorgement de la Justice et l'obligation d'instruire et de juger les affaires dans des délais raisonnables vont dans le sens défavorable à l'application d'une telle obligation. 
selon le juge Mokhtar Yahiaoui, dans les années 1980, un juge avait en moyenne 5 dossiers à traiter, aujourd'hui, il en a entre 25 et 30 . 
la manière dont on gère les dossiers, les interrogatoires et le recueillement  de moyens de preuves prédisposent à l'erreur judiciaire.
la question se pose alors; combien y a-t-ils de condamnés à mort qui croulent dans les prisons tunisiennes en 2015 alors qu'ils réclament toujours leur innocence? et combien en a t-on exécuté jusque là?
malheureusement, une fois exécuté, on ne peut plus revenir sur la sentence. 

3. La peine de mort rend justice à la famille de la victime:
un argument tout aussi pertinent, est celui de croire que tuer quelqu'un parce qu'il est interdit de tuer est un moyen de rendre justice. 
dans un premier temps, il est nécessaire de  penser l'utilité de la justice, sert-elle à assouvir un sentiment de vengeance ou est ce qu'elle sert à mettre un coupable hors d'état de nuire tout en dédommageant la victime?
Michel Foucault s'est, par ailleurs, posé la question de savoir si la justice était là pour juger le crime ou l'auteur du crime. 
en toute hypothèse, la justice telle qu'elle a été conçue par les philosophes de la lumière, existe pour préserver la paix sociale, par conséquent, elle s'éloigne de cette vision primitive de la justice du moyen âge basée sur la vengeance.
la justice tunisienne est principalement calquée sur la justice Française, héritière de la philosophie de la lumière, ce constat est d'autant plus affirmé par l'adhésion de la Tunisie aux normes internationales relatives au respect des Droits de l'Homme.
si la justice pénale tunisienne ne jugeait que les crimes au lieu des auteurs des crimes, elle aurait pu être parfaitement indifférentes aux circonstances entourant la commission du crime, l'état psychologique du prévenu, ses antécédents judiciaires, sa récidive potentielle. 
dans ce sens, on peut dire qu'il suffit d'isoler le condamné qui représente un danger pour la société, de le réformer, de préparer sa réinsertion si elle est possible, afin de  préserver la paix sociale. 
la peine de mort s'inscrit dans une logique parfaitement contraire à l'idée selon laquelle il y a une part de bonté dans l'Homme , qu'il est possible de faillir et qu'il est d'autant plus possible de se repentir. 
  
il convient dans un second temps de se demander de quelle victime parle-t-on?
en effet, lorsqu'on parle de peine de mort, on se place souvent du coté d'une seule victime, de la famille de la défunte, de la violée, de la torturée, et on oublie que de l'autre coté, il y a la famille du condamné à mort, ses enfants, sa mère, ses proches. 
en exécutant un condamné, nous créons plus de victimes. 
il est plus facile de se reconnaitre dans la peau de la mère d'une victime de meurtre que dans la peau de la mère qui voit son enfant, quelqu'il soit, marchant vers  l'échafaud. 
Le criminel de sang, on voudrait qu’il nous soit étranger, il ne l’est pas, c’est un homme comme nous, et en l'exécutant , on lui refuse la qualité d’homme.     

4. ceux qui ne seront pas exécutés coutent cher à l'Etat:
il n'est pas rare que les partisans de la peine de mort recourent à l'argument économique pour justifier les exécutions. 
Par conséquent, il faut rappeler que la justice a un cout, et que ce n'est pas en exécutant les 134 condamnés à mort qui croupissaient dans nos prisons ( chiffres de  2013) qu'on allait sauver l'économie du pays. 

5. l'exécution se fait sans douleur:
 loin de l'idée qu'on a du condamné à mort vivant dans nos établissement pénitentiaires cinq étoile de luxe, il faut signaler qu'avant 2012, ces derniers vivaient dans l'isolement complet de la population carcérale, il y'en a meme qui sont restés dans une cellule individuelle pendant plus de 20ans sans droit de visite, ni droit à la correspondance, ayant pour seule repas deux baguettes par jour et une soupe à base de peau de légumes et sans accès aux soins. 
on leur a fait subir tous les traitements inhumains et dégradants qui puissent exister et ce, dans l'isolement totale. 
ils ne savaient pas quand est ce qu'ils seront exécutés et n'avaient aucun contact avec leur codétenus. 
ceux qui ont été condamnés avant le moratoire (1991) et qui n'ont  été ni exécutés ni graciés, ont vécu cette situation jusqu'en 2012.
comment peut-on s'attendre à ce que le meme système,  qui cautionne le traitement d'êtres humains, aussi coupables soient-ils, de la sorte, puisse  respecter la personne humaine?
comment peut on demander à un fonctionnaire , à qui on permet de torturer, rabaisser, violenter un détenu, de respecter un citoyen? "tous les Hommes sont égaux..." SAY WHAAAAAT????

il faut signaler, par ailleurs, que l'exécution en Tunisie, ne se faisait pas par injection de substance létale comme on pouvait le croire mais se faisait soit par pendaison (pour les civiles), soit par fusillades (pour les militaires). 
il faut notamment préciser que le condamné à mort par pendaison agonise pendant 5 minutes en Moyenne, le saffah de Nabeul a agonisé pendant près de 13 minutes avant de rendre l'ame. 

6. c'est l'Etat qui exécute les condamnés à mort:
pour ceux qui n'ont pas encore compris que l'Etat est une entité abstraite et que les mains de  la loi ne
sont que les mains de l'Homme, il est nécessaire de le leur rappeler. 
D'abord, qui décide ou pas si un prévenu doit mourir ou pas?
 5 hommes qui siègent à la cour d'assise, qui ne lisent pas forcément les dossiers qui leur sont présentés, qui assistent aux contradictoires sans beaucoup d'intérêt (effectivement, lorsqu'on  a 30 dossiers de viol/Vol/meurtre par jour, tous les jours, ça devient désintéressant), et qui jugeront du sort d'un Homme selon l'argumentaire d'un avocat consciencieux ou pas, convaincant ou pas...

S'agissant du  Droit de Grace, Robert Badinter disait :"c’est le dernier moment où le président de la république est Louis XIV, puisqu’il peut disposer de la vie ou de la mort d’un de ses sujets ».

et il affirme qu'« en réalité, la décision appartient à un seul, au président de la république,  accepter ce pouvoir c’est reconnaître le droit d’un homme sur la vie d’un autre homme et  une société qui condamne la mort doit se refuser de la donner "  



Avant 1991, toutes les exécutions se faisaient à la Prison du 9 avril. 
c'était Am Hmed, un ancien fonctionnaire de compagnie de Bus qui assurait l'exécution des condamnés. 
en 1987, Am Hmed est parti à la retraite et c'est Am Hassen qui a pris la relève, on lui a proposé la charge de la corde, assortie d’une indemnité de 20dt par tete qui sera portée plus tard à 150 dt. 
c'est cette justice que cautionne la peine de mort, celle qui rémunère un bourreau sur chaque tete, celle qui transforme un homme en meurtrier en lui octroyant le Droit de tuer. 
on parle de "Meurtre légitime", une expression bien douce qui travestit une barbarie.

7. La peine de mort est réservée exclusivement aux crimes de sang:
"oeil pour oeil, dent pour dent", telle est la logique des partisans de la peine de mort qui croient naïvement que seulement ceux qui ont commis un meurtre ont été condamnés à mort. 
il n'est pas inutiles de préciser qu'historiquement, la peine de mort a été très souvent utilisée pour évincer des concurrents politiques. 

Sous le régne de Bourghuiba,129 personnes ont été exécutées
Sous Ben Ali, il n’y a eu que 6 exécutions. 
Salah ben Youssef  sera condamné le 8 janvier 1957 à la peine de mort, Lazhar chraiti sera fusillé avec 9 autres conjurés le 24 janvier 1963 dans l’affaire du complot de décembre 1962.
En octobre 1959, 128 partisans de Ben Youssef seront jugés pour complot dont 15 qui seront condamnés à mort. Seulement 8 seront exécutés.

lors des émeutes du pain le 26 mai 1984, la chambre criminelle de Tunis a condamné 10 jeunes émeutiers à la peine de mort, ils seront graciés plus tard par Bourguiba. 
Ceci étant, ça ne veut pas  que tous les condamnés à mort ne sont ni tueurs, ni violeurs. 
selon le code pénal tunisien, seront condamnés à mort les auteurs de viol sur mineurs, les coupables d'Homicide avec circonstances aggravante, de Meurtre d’ascendants, d'Enlèvement, de  séquestration, de détention de juge, les auteurs d'incendie et attentats ferroviaires ayant entrainé la mort. 
avec le vote de la nouvelle Loi de la lutte contre le terrorisme, seront aussi condamnés à mort les "terroristes". 
reste à savoir, qui sera considéré comme terroriste eu égard à l'ambiguité de la définition. 

8.abolir la peine de mort est contraire à l'Islam

En Tunisie, si nous ne voulons pas débattre d'une question, ou nous n'arrivons pas à construire un argumentaire solide pour convaincre notre interlocuteur de notre thèse, nous lui opposons le VETO ultime de la religion. 
la question de la peine de mort ne fera pas exception,  RACHED GHANNOUCHI s'est déjà prononcé  en affirmant que  « l’abolition représenterait une atteinte aux fondements et aux piliers de l’Islam et serait contraire à la Charia ». 
Ici, il ne va pas s'agir de convaincre le lecteur que l'abolition de la peine de mort est contraire à la Charia, mais de démontrer que l'abolition de la peine de mort , si elle venait à être établie, ne sera pas l'unique discordance entre la Charia et le Droit positif Tunisien puisque ce dernier s'est détaché et a aboli, depuis longtemps, plusieurs pratiques que la Charia permet: l'esclavage, la répudiation, la lapidation et la flagellation, n'en sont que des exemples. 

Dans la charia, sont punis de peine de mort les crimes suivants : (aller plus loin)
l'adultère commis par des musulmans mariés (Muhassan), le meurtre intentionnelle, la sorcellerie et l'apostasie. 
selon l'article 236 du code pénal tunisien,  l'adultère est puni de 5 ans d'emprisonnement et 500 dt d'amende et le conjoint  ne sera poursuivi qu'à la demande de l'autre conjoint qui reste maitre d'arrêter les poursuites ou l'effet de la condamnation.
il n'est nullement question de peine de mort s'agissant de l'adultère. 
quant à la sorcellerie et le crime d'apostasie , ils ne sont nullement punis par la loi pénale tunisienne. 
par conséquent l'argument religieux ne tient pas à moins de vouloir  ré-instaurer les châtiments corporels inscrits dans la charria et  arrêter de prétendre défendre les Droits de l'Homme et le respect de l'intégrité physique. 


Pour conclure, 
l'état du Droit pénal Tunisien aujourd'hui penche plus vers l'abolition que vers le retour aux exécutions. Cependant, le législateur tunisien semble manquer de courage pour franchir le pas de l'abolition, il préfère rester dans l'indécision, dans une zone grise, où on condamne à mort mais on n'exécute pas, d'une part, pour rassurer l'opinion publique en faisant preuve de fermeté vis à vis des crimes les plus odieux et d'autre part, pour ne pas "mettre en colère" la partie la plus conservatrice de la société  tunisienne, celle spécialement attachée aux pratiques Daechiennes. 




















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